|
140e
Anniversaire du
"Décret Crémieux"
Le
colloque sur le 140e anniversaire du "Décret Crémieux"
a fait salle comble, dimanche 12 décembre, dans les salons
du Palais du Luxembourg. Organisé à l’initiative
du Président Joël Mergui, ce colloque entendait rendre
hommage à l’homme autant qu’à son oeuvre.
Pour mémoire, Isaac Jacob Crémieux dit Adolphe Crémieux
fut président du Consistoire Central en 1843.
Si
la postérité a retenu ce décret du
24 octobre 1870, c’est qu’il accorda, collectivement,
la citoyenneté française aux 37 000 juifs
d’Algérie dont l’amour de la France,
comme l’a rappelé Jacques Attali, est emblématique
d’une époque où l’amour de la
patrie est la condition première de rattachement.
Car là où, partout ailleurs, nationalité
rime avec citoyenneté, en France, l’une s’ajoute
à l’autre comme créatrice de droits
autant que de devoirs. |
|
|
Citant
Maïmonide, le Grand Rabbin René Samuel Sirat,
originaire d’Algérie et ancien Grand Rabbin
de France, se souvint de sa fierté, enfant, d’avoir
pu, lui aussi, réciter «nos ancêtres
les Gaulois» à égalité avec les
petits Français. En effet, selon le Rambam, si l’on
peut adopter des enfants pour les faire siens, il est inversement
possible d’adopter, comme siens, des parents, autrement
dit une mère patrie. |
C’est
du reste non sans émotion que le Grand Rabbin Sirat et
le professeur Raphaël Draï ont rapporté la douleur
de leur famille lorsque le Maréchal Pétain, vénéré
comme le chef de la Grande Guerre, abolira le fameux Décret
pour les déchoir d’une nationalité et d’une
citoyenneté dont ils n’avaient pas démérité,
notamment en tant que soldats juifs français.
Préfigurant
cette union, le Président Mergui a rappelé
combien importante fut la création d’un consistoire
d’Algérie, rattaché au Consistoire Central,
qui allait permettre plus d’un siècle plus
tard, grâce à la lucidité d’Adolphe
Crémieux, d’enrichir le judaïsme français
jusqu’à lui donner la possibilité de
renaître des cendres de la seconde guerre mondiale. |
|
Nul
doute que la création du Consistoire influença le
jeune Crémieux dont l’enfance et la jeunesse furent
imprégnées des principes du Grand Sanhédrin
de 1807 qui proclamait une double fidélité assumée
et accomplie à la fois au Judaïsme et à la
France.
|
Philippe
Landau, conservateur des archives du Consistoire, a brossé
le portrait d’un homme si épris d’égalité
qu’il fut l’ardent défenseur du culte
sépharade. Partisan de l’émancipation,
pétri des idéaux des Droits de l’Homme,
il fut celui des présidents qui plaça le rabbinat
sous le contrôle des laïcs élus à
la tête du Consistoire. Partout, sa conception supra
nationale de l’émancipation lui permit de s’engager
dans la défense des juifs opprimés du monde
entier. |
En
effet, l’une des constances du personnage décrit
par l’historienne Béatrice Philippe est de
mêler en un seul homme une même quête
de justice en tant que juif et en tant que Français
comme si, effectivement, la République était
l’héritière des commandements que D.ieu
a donné à Moïse. Car Adolphe Crémieux,
par deux fois ministre de la justice, fut bien davantage
que l’homme d’un décret passé
à la postérité sous son nom. |
|
Il
fut assez hardi pour défendre l’idée que «l’égalité
n’est pas une faveur» et que la République
de 1848 accorde aux noirs les mêmes droits que tous les
citoyens, les juifs ayant le devoir de tendre la main à
ceux qui sont victimes du même ostracisme dont ils continuaient
pour certains de souffrir. Il fut aussi celui qui défendit
le divorce, supprima la contrainte par corps, le serment More
judaico et la peine de mort pour motif politique, laquelle suppression
permit au capitaine Dreyfuss de n’être pas fusillé
quelques décennies plus tard.
|
S’interrogeant
sur l’actualité des controverses politiques
actuelles au sujet de ce fameux Décret, Raphaël
Draï, a insisté sur la nécessité
de rompre avec le discours ronronnant de ce qui rapproche
pour parler de ce qui divise les communautés juive
et musulmane aussi bien que chrétienne. Selon lui,
il n’est ni historiquement ni moralement valable d’invoquer
a posteriori une prétendue désolidarisation
des juifs d’Algérie au moment du décret
Crémieux pour justifier le départ massif et
sans retour possible de tous les juifs d’Algérie. |
Personne,
s’est-il plu à rappeler, n’a été
complètement innocent dans cette histoire et le fait que
l’Algérie soit aujourd’hui un des très
rares Etats au monde et la seule nation du Magreb à ne
compter plus aucun juif parmi sa population est suffisamment éloquent
pour organiser enfin un vrai dialogue ouvert à tous.
Prix
Nobel de Physique, le professeur Cohen-Tannoudji en digne
héritier des bénéficiaires du «décret
Crémieux» a bien sûr mis l’accent
sur le rôle crucial de l’éducation. Cette
valeur juive et républicaine d’élévation
de soi et d’émancipation a permis de donner
au plus grand nombre l’accès au savoir pour
sortir à la fois de l’esclavage des ténèbres
et de la soumission à l’arbitraire comme le
souhaitait le visionnaire et humaniste Adolphe Crémieux. |
|
Et
le prix Nobel de s’interroger : «Verrons-nous ailleurs,
dans d’autres pays en proie au fanatisme, se lever un autre
Adolphe Crémieux pour investir dans des écoles et
sortir sa population de l’obscurantisme ? Je nous le souhaite
à tous, pour notre avenir commun.»
|
Appel
au dialogue repris par la conclusion du Grand Rabbin de
France, Gilles Bernheim. Ashkénaze d'origine, il
rappela combien comptèrent ses maîtres Sépharades
dont l'enseignement lui permet aujourd'hui de vivre pleinement
toute la richesse du judaïsme français indissociable
de l'apport du mysticisme des juifs d'Algérie.
Des juifs, liés au mouvement, tel que le 19e finissant
les représentera sur les cartes postales, en costume
européen, signe de ce qu'ils avaient choisi la
France et avec elle la modernité.
|
Mais
appel aussi à la redécouverte des racines vivantes
du judaïsme algérien qui vit en France dans les coeurs
avec l’engagement du Président Joël Mergui de
rééditer les oeuvres de grands rabbins d’Algérie
et de sortir aussi les livres des cimetières de la mémoire. |
|