Septembre
73, cours inaugural de mes cinq années d'étudiant
au Séminaire Israélite de France. Nous étions
une dizaine de nouveaux élèves réunis
dans la salle d'étude de la rue Vauquelin. Contre
les murs gris, deux grandes bibliothèques usées
par les ans s'adossaient solidement, portant des collections
de vieux ouvrages que tant de mains avaient saisis pour
un limoud fervent. Sous le tableau noir, Rav Ernest Gugenheim
zal et Rav Emmanuel Chouchana zal, deux géants
de la Torah. Le premier occupait la fonction de directeur,
le second allait être notre professeur de Talmud.
Solide comme un roc, une barbe épaisse et d'une
blancheur laiteuse, des mains larges et puissantes, un
regard traversé par des éclairs d'intelligence,
voici les images qui imprimèrent de suite mon esprit.
Je n'ai jamais oublié sa première leçon,
elle concernait un point de halakha. Cette loi énonce
que si l'on s'est trompé dans une bénédiction
de consommation et que l'erreur n'est pas récupérable,
il faut réciter la formule baroukh chem kévod
malkhouto léôlam vaêd "béni
soit le nom de la gloire de Sa royauté à
jamais". Cette formule accompagne la récitation
du premier verset du Shéma Israël et est récitée
à voix haute le jour de Kippour. Pourquoi, demandait
Rav Chouchana, user dans ce cas d'une telle formulation
? Car même si nous nous sommes trompés dans
le choix de la bénédiction, dans l'absolu
elle demeure valable. Si sur une pomme nous avons récité
la bénédiction du pain - ce qui traduit
un manque de vigilance religieuse - la bénédiction
du pain proclame néanmoins la royauté divine.
Le
Rav Chouchana excellait dans ce type d'enseignements brefs
comme dans l'analyse talmudique dans la mesure il saisissait
dans une vue immédiate la logique du texte. Il
utilisait très souvent le tableau noir pour y inscrire
un schéma dans lequel il synthétisait les
différents avis énoncés par les maîtres.
Il ne cherchait pas à comparer les textes à
la manière des tossaphistes, mais restait très
proche de la méthode de Rachi, qui commente les
mots ou les expressions pour mettre en évidence
la cohérence interne. Il y avait souvent des joutes
oratoires avec les élèves, tout Beth Hamidrash,
mais je n'ai pas souvenir qu'il ait été
pris en défaut...